Il est utile de savoir regarder les différentes traditions si on est maitre de la sienne ou au moins un expert dans l’enseignement que l’on suit.
Les qualités à travailler, la recherche de perfection, ont toujours demandé chez l’Humain, les mêmes efforts.
Regardons par exemple les sources d’émotions négatives chez Evagre (4em siècle), qui reprend l’enseignement d’Origène (autour de 200AD), mais aussi l’école de Pythagore (500 BC) ou de Lu Yan (600 BC).
Il y a 8 sources de « Passions négatives » :
- Ira (la colère)
- Invidia (l’envie)
- Superbia (l’orgueil)
- Tristitia (la tristesse)
- Gula (la gourmandise)
- Somnia (le rève)
- Fornicatio (la luxure)
- Acedia (la Paresse)
Ces émotions sont à l’origine des autres sentiments négatifs, il sont l’origine dont les autres passions découlent : de là leur noms « caput », la tête.
Ainsi ces « péchés » capitaux ne sont pas fonction de leur gravité, mais de leur indentification comme cause originelle : à ne pas confondre avec les péchés mortels et véniels.
Les « poisons de l’esprit » ou les « gui » sont aussi une vision de ces 8 défauts originaux qui sont à l’origine des autres.
La compréhension du mécanisme de ces émotions, par une étude et une expérimentation personnelle, va nous permettre de dépasser nos comportements pathologiques.
Ira : la colère
La colère est une émotion qui vient de la frustration de ses pulsions et de l’impossibilité de réaliser ses attentes.
La blessure qui découle de cette frustration va révéler une émotion négative violente qui peut être exprimée ou pas : la colère s’exprime ou se réprime.
Les modifications physiologiques sont néfastes à long terme et sont dangereuses si nous y sommes régulièrement confrontés.
Augmentation du rythme cardiaque, afflux sanguin vers le haut du corps (la tête entre autre), amplification de l’activité respiratoire et une contraction incontrôlable des muscles du corps qui créent des tensions à tous les niveaux (poings qui se crispent, mâchoires serrées,...)
Limitant l’humain dans son écoute du monde et des autres, la colère empêche d’appréhender la réalité et nous fixe sur des préoccupations égotiques.
Il devient impossible de savoir quoi faire ou comment agir, notre seule obsession étant la résolution de la frustration qui nous cause cette souffrance.
Aristote nous dit que la colère est une des 7 causes de toute action humaine et que c’est la pire des façons de faire : la colère étant parfaitement imperméable à la raison.
Les stoïciens considéraient la colère comme une folie passagère ou l’on devenait quelqu’un d’autre.
Pythagore nous met en garde contre l’emportement, un des quatre dangers majeurs à réguler.
Pour dépasser ce « poison de l’esprit », il est important de se questionner sur la direction que doit prendre sa vie : dans une idée plus claire des buts de sa vie, par une vision réelle de sa place dans le monde, le sens de l’humour Cosmique nous garde de l’emportement.
Instruit, par introspection, sur sa vraie nature, son chemin de vie, la colère est bénéfique parfois pour se révolter contre l’injustice, contre l’inacceptable : c’est une colère directive et réactive en fonction de ses valeurs, c’est de l’indignation.
La colère peut être yin ou yang, passive ou active, exprimée ou rentrée : plus elle est yin, plus elle fera souffrir le corps ; plus elle est yang, plus l’esprit sera obstrué.
Invidia : l’Envie
L’envie est une émotion négative qui est une volonté de posséder ce qu’un autre possède ou au moins que l’autre perde ce qu’il a que nous désirons.
C’est une comparaison avec l’autre, une impossibilité de se connaître clairement et donc de se projeter dans la possession pour se « remplir ».
Liée à un déséquilibre narcissique, a une mauvaise façon de se voir, de se comprendre, elle est une projection du mental qui découle d’une abominable image de soi.
La jalousie vient de l’envie et ce sentiment compromet la connaissance de soi.
C est une confusion entre l’objet de désir et l’image de soi, le regard vers l’autre et le regard sur soi. L’envie va paralyser son évolution globale en remplaçant l’évolution personnelle par la collection d’objets de substitution.
Aristote dit que l’envie est directement liée à la perception du bonheur affiché des autres (même si celui- ci est faux) et qu il est possible d’y échapper en se focalisant sur soi (en laissant les autres tranquilles).
Par expérience directe, nous cherchons à nous connaitre et quand notre mental acceptera ce que nous sentons, alors l’envie disparaîtra.
Superbia : L’Orgueil
Bien loin de la racine latine « prodis », qui rend l’homme « utile » et du vieux français « preux », qui décrit le chevalier courageux, l’orgueil est un sentiment dirigé sur soi : c’est une mauvaise vision de ses qualités et de ses aspirations par la confusion entre fantasmes et actions.
L’orgueil est une perception malade de soi, une perte de réalité à cause d’une différence entre la vision rêvée de soi et le rapport à son ego.
L’ego démesuré influence l’intuition et la perception de soi, la croyance remplace la perception.
C’est aussi la croyance en ses qualités exceptionnelles et en sa différence non ordinaire : une volonté de croire en son destin et en ses capacités magiques.
L’orgueil va nous empêcher de nous percevoir réellement, c’est aussi un mécanisme de défense très puissant pour échapper à la prise de conscience de ses défauts et de ses manques.
Le travail de l’intuition, le fait de laisser de la place aux signes et aux mouvements du monde, tout cela va nous permettre de dépasser notre limitation égotique.
Tristitia : La Tristesse
La tristesse est l’attachement aux choses, l’impossibilité de se séparer et de faire son deuil de la perte.
Dans certaines traductions, la tristesse devient l’avarice : en effet, dans les faits, l’avarice est ce qui cause la tristesse dans la séparation de ses biens.
Cette impossibilité de vivre correctement le partage, la séparation avec ses possessions, elle est liée à l’image de son ego et a l’attachement à celui-ci.
La peur de la disparition de son individualité, l’angoisse de ne pas être assez important, nous pousse à amplifier la force de l’ego avec des acquisitions.
Chaque séparation, chaque dépense et chaque partage sont une déperdition de la force de son ego.
La tristesse, même dans le deuil, est bien souvent une émotion très égoïste : nous sommes tristes de ce que l’on ne pourra plus vivre avec l’autre.
La séparation nous diminue, nous nous attristons de la perte que nous subissons.
La prise de conscience de la dissociation de soi et de son ego, l’expérimentation des limites de nos croyances, l’exposition au neuf, tout cela va nous permettre de clarifier notre rapport à ce qui n’est pas nous.
Gula : La Gourmandise
Le problème ici n’est pas le sens moderne de la gourmandise, mais le fait de faire passer le mondain avant l’important.
C’est la perte de repères par l’attrait de ce qui est « sucré », doux et brillant.
Pythagore nous dit « domine le ventre » : c’est l’idée de ne pas être dépendant de ses envies ni de ses pulsions.
L’importance de la satisfaction du corps, dans la nourriture, est souvent une fuite du rapport à soi, une façon de remplir un vide non matériel ou encore un moyen de défense contre l’anxiété.
Ces habitudes alimentaires sont dangereuses pour la santé physique et nous empêche de percevoir la vérité.
Une alimentation névrotique embrume notre esprit et nous oriente vers des choix pathologiques : nous perdons toute disponibilité dans la poursuite de cycles de plaisirs ponctuels.
Somnia : Le Rêve
Somnia représente les fantasmes, les constructions mentales projetées dans le futur ou ancrées dans le passé.
Prenant sa source dans l’imagination et les projections, le bruit du mental nous empêche d’apprendre et de comprendre.
Préférant interpréter plutôt que qu’écouter, supputer au lieu de demander, nous avons une grande capacité à transformer ce que nous percevons.
Tant que le mental n’est pas apaisé, que nous ne connaissons pas le mouvement des pensées, il est impossible d’accéder au réel.
Préférant notre « rêve », nous échappons à la rudesse de l’éveil.
Pythagore et Aristote nous mettent en garde contre l’outil mental : il s’emballe et nous fait croire ce qui est acceptable en chassant la réalité qui dérange.
Par le ressenti et les exercices de méditation, nous calmons l’esprit pour arriver à un silence relatif, à une acceptation de nos mécanismes internes.
Fornicatio : La Luxure
L’énergie de l’acte sexuel est très importante dans les traditions anciennes, il est souvent considère comme un acte sacré.
Le souci, ici, est de ne pas devenir dépendant de la sexualité, de ne pas subir ses pulsions.
Dans la vision taoïste, la sexualité non contrôlée est source de maladie et de faiblesse des reins.
Pythagore le cite comme un des quatre aspects à surveiller pour se distinguer des animaux.
Dans l’arbre de vie de la Kabbale, c’est le premier passage vers une possible évolution spirituelle : rien n’est possible si l’attrait de la sexualité me retient dans le matériel.
Bien souvent, pour une satisfaction de sa sexualité, les valeurs morales volent en éclats et les idéaux sont oubliés.
C’est une force puissante qui doit être domptée pour aller dans le sens de la pratique, pas en opposition.
Cet aspect de nos défauts, très similaire à la Gourmandise, régule notre attachement à notre force instinctive : c’est une façon de ne pas pouvoir échapper à l’importance de notre ego.
Acédia : La Paresse
Il y a deux informations très importantes ici : la paresse vient de l’ennui que nous pouvons éprouver par inconscience et du manque de soin que l’on s’apporte qui crée la perte d’intérêt pour la vie.
Il y a trois sortes de paresses : celle ou nous ne faisons rien, celle ou nous ne nous jugeons pas capables de faire (ce qui nous disculpe de ne pas faire) et la paresse ou nous nous distrayons pour éviter de faire ce que nous devrions faire.
« Akédeo » c’est ne pas prendre soin de soi, le manque d’action et de passage à l’acte dévalue l’estime de soi.
En ne faisant pas, il nous est impossible de valider dans la réalité ce que nous pensons de nous-mêmes.
C’est une source d’anxiété, nos actions sont alors réduites par nos peurs : sans confrontation à nos limites, nous ne pouvons pas nous « dépasser ».
Cette paresse est également le fait de ne pas regarder vers le plus grand : enfermé dans une vision mondaine du monde, sans jamais se poser de questions sur sa vie ou la voie à suivre.
Dans la vision des mystiques de l’ancien monde, vivre sans le divin, accepter de réduire la vie à un passage sur terre sans sens : c’est l’acedie, une vie ou on ne prend pas soin de tous les aspects de l’être, une vie ou on néglige l’âme.
L’attention à la source de l’être, la tentative de comprendre sa réalité complexe, c’est la disparition de l’ennui et la prise de conscience de sa partie absolue.
Par l’ouverture de la Porte de la Vie, foyer inférieur de la Vallée de l’Esprit, la partie cachée de son Essence, nous allons vers la réalisation de notre vraie nature.
Notre idée est de comprendre nos défauts pour nous confronter à nos limites.
Nous pouvons consciemment corriger notre comportement jusqu'à ce que celui-ci se stabilise dans une nouvelle façon d’être : ces efforts nous mènent vers une transformation profonde vers l’absolu de ce que nous pouvons devenir.
Nous ne pouvons ignorer nos actions, nous nous voyons faire : si nous entreprenons de travailler constamment, la transformation sera là.
La réalisation de « l’être accompli » demande une focalisation sur ce qui est négatif pour le corriger, le rectifier, puis une concentration sur ce qui est positif, nos valeurs et qualités.
Nous allons dissoudre ce qui s’est installé par habitudes et ensuite nous reconstruire dans une conscience ciblée sur les qualités de notre idéal.
Nous verrons les 8 vertus la prochaines fois.