mercredi 2 décembre 2009

Engagez vous, qu'ils disaient…

Aujourd'hui, lorsqu'on est dans une recherche de pratique, il est important d'avoir un sens critique développé.

A cause d'une surinformation nous sommes engloutis et nous ne savons plus vers quoi aller. Le plus souvent, nous allons vers dix projets ou pratiques à la fois, ce qui nous garantit un immobilisme certain. De plus, aller dans toutes les directions nous protège de toute amélioration de notre condition, ce qui nous permet de pouvoir continuer à nous plaindre, aux autres et à nous-même.

Dans la horde de gurus et de maîtres, nous ne savons que choisir, et de ce fait nous allons vers ce qui brille ou ce qui est "vu à la télévision".

Nous voulons choisir, mais nous ne savons pas quoi, nous voulons quelque chose, mais ce n'est pas identifié ; bref, nous sommes là à tourner en rond. Dans les anciennes traditions, nous n'avions pas le choix. Il n'y avait pas de professeur disponible et en trouver un était fantastique. Quelque fut ce qu'il proposait, le jeune disciple se fondait dans la pratique : moins de question, plus de pratique.

Comment savoir qui est le bon maître, le bon guru, celui qui est éveillé et celui qui dort encore ?

La meilleure façon est de reconnaître dans la pratique la totalité que nous côtoyons dans le quotidien de notre discipline. Cela n'est vrai que si nous avons déjà l'expérience de cette totalité et que nous n'avons plus besoin d'un guide… Nous tournons encore en rond.

Doit-on donc disséquer avec méthode et logique tout ce que le professeur nous dit ou nous montre ? Doit-on questionner pour valider intellectuellement toute tentative de changement ? Sommes nous dans l'obligation d'aborder chaque exercice donné tel une bête sauvage ?

Peut-on apprendre quoi que ce soit dans ces conditions de doute et ce manque d'abandon ? Dans le cas de l'apprentissage de science ou de mathématique, cette démarche me semble la bonne ; par contre, pour les voies spirituelles cela paraît idiot.

Nous cherchons deux principes de base pour une pratique spirituelle ; nous avons besoin d'une certaine qualité de présence et d'une confrontation à la perte de nos limites, à la peur de la dissolution.

Sans présence, sans focalisation ou attention, il n'est pas possible d'accomplir quoi que ce soit, si ce n'est par hasard. Pour un exercice, sentir ou même imaginer, nous devons être à ce que nous faisons. Il en va de même pour les dévotions ou les religions : la prière demande une attention soutenue. Nous devons être présent sans être concentré, attentif mais détendu. Cette qualité d'attention demande bien des exercices, physiques et énergétiques, pour être comprise. Au commencement, il suffit d'être conscient des conseils de son professeur et de s'en souvenir. Nous voyons ici, qu'une personne dispersée qui se divise en myriades de pratiques et de professeurs ne peut que piétiner et stagner tristement. Cette dispersion de l'énergie permet de se faire croire que l'on accomplit plein de choses sans rien faire vraiment, car en réalité, on s'occupe pour se sentir vivre sans jamais aller vers l'Essence de la pratique. Bon, mais nous voilà attentif, enfin supposons, que faut-il d'autre ?

Notre ego nourri par nos pensées compulsives, à besoin de nous "cadrer", d'avoir des limites identifiables de notre être pour se sentir en sécurité. Cela nous pousse à répéter sans cesse les mêmes erreurs, à retomber sur les mêmes types de personnes négatives dans notre vie ou à subir les mêmes troubles durant des périodes de notre histoire. Ces soucis sont sécurisants pour notre ego, ils apportent un connu qui permet de savoir (faussement) qui nous sommes (selon notre mental, bien sur) enfin, qui est notre personnage en distorsion de la "réalité" plutôt. Dans la recherche spirituelle, nous allons vers ce que nous sommes vraiment, nous effectuons un voyage de retour vers notre vraie nature, nous enlevons ce qui fut accumulé pour une "réversion" très taoïste (chapitre XL du Dao De Jing). Cette confrontation avec les limites de notre ego nous conduit à une confrontation "fictive" avec la mort. Pour notre mental, notre ego, perdre ses limites c'est mourir, se dissoudre. Nous ressentons la possibilité de disparaître ; encore une fois, ce ne sont que des ruses de notre ego qui ne veut pas perdre son importance, ce n'est pas "réel". Sans cette confrontation, rien n'est possible si ce n'est le développement d'une forme d'attachement différente qui relève du domaine du "matérialisme spirituel". Nous ne pouvons sortir de nos limites que si nous sommes dans un abandon dans la pratique, défiant ainsi notre mental.

Il est donc nécessaire de s'engager totalement, ne serait-ce qu'une demi-heure par jour, sans questionnement, dans l'abandon d'une tradition.

Le questionnement a sa place, mais avant de s'engager. Dans la recherche préliminaire, dans l'identification de ses besoins, dans le choix de son professeur, dans le choix de ses chaussures d'entraînement, mais le questionnement n'a pas sa place dans la pratique.

Après avoir choisi sa voie, il est nécessaire de passer à l'action dans le respect de la tradition.

De nos jours, il est difficile d'être dans cette dynamique de totalité. Pour ne pas aller contre notre nature précautionneuse, nous pouvons contourner l'appréhension de base pour rassurer notre ego meurtri ; donnons nous une durée d'engagement limitée pour "entrer" dans notre pratique par exemple. Disons que nous allons commencer par un an, sans questionnement et dans l'engagement. Ce n'est qu'une ruse, mais qui fonctionne très bien.

Par ce côté rassurant de la période d'un an, sachant qu'on pourra réévaluer son choix après cette période, il est plus facile de se laisser glisser dans la voie. Si vous réussissez à "entrer" dans la pratique durant cette période, vous n'aurez alors plus de soucis.

Le nom de ma voie comprend en chinois le terme "men", la porte. Cette idée est importante. Nous avons la possibilité de rester devant, d'examiner et de juger cette porte.

Nous pouvons comparer, tâter ou encore pousser cette porte.

Nous pouvons regarder derrière, ouvrir et fermer sans entrer. Il est possible d'en parler, de la critiquer ou de l'ignorer. Cette porte peut faire l'objet de débats et d'envie, d'attente et d'agression.

Mais à la fin, comme avant de plonger dans une eau fraîche, il n'y a que deux solutions : nous entrons ou nous n'entrons pas.

samedi 14 novembre 2009

"l'Esprit Singe" : Tourmenter les Perceptions

Nous sommes en permanence en rapport avec une partie bruyante de notre esprit qui commente, juge et compare tout ce que nous percevons.

Ce "petit juge" intérieur nous empêche de vivre pleinement nos sens, comme un filtre devant un objectif d'appareil photo.

Ce commentateur "intégré" est une façon sure de toujours continuer à "fabriquer de la pensée".

Notre mental est un outil qui peut nous être utile, mais bien souvent c'est malheureusement nous qui sommes au service de ce tyran.

Il n'est pas utile de penser les perceptions, il est même fatigant de le faire ; c'est une sérieuse perte d'énergie.

"C'est normal" me direz-vous, c'est absolument normal de penser sans cesse, c'est ce qui fait de nous des humains. Et pourtant, bien des gens à la culture différente et vivants sur cette Terre en ce moment ne pensent pas la même chose.

Il est normal pour nous, occidentaux, de penser tout le temps, tout comme il fut normal pour les habitants de l'île de Pâques d'abattre des arbres pour vénérer leurs dieux ou pour les incas de sacrifier des jeunes femmes.

Sur le moment cela semble être la seule "bonne" façon de vivre, mais c'est parce que nous ne connaissons pas autre chose. Et bien la Voie taoïste nous propose de revenir à la perception, au silence et à la détente.

Nous avons différentes facettes que nous présentons aux gens, nous avons notre voix intérieure qui commente nos moindres gestes et nous avons autre chose… cet Observateur qui peut parfois se rendre compte de tout notre manège, cela avant d'être commenté lui-même par notre esprit aux pensées compulsives.

Les chinois donne un nom à ce "malade" qui parle sans cesse dans notre tête : Esprit singe.

Comme un jeune singe dément, cette entité va se jeter sur chaque perception et chaque pensée pour en fabriquer un peu plus, comme sur une gourmandise.

Nous avons déjà vu un dément, dans la rue ou le métro, qui parle tout seul. On se dit souvent alors "que c'est triste…". Et bien nous ne sommes pas si différents de lui au fond…

Nous ne le faisons pas à voix haute, mais nous sommes dans la même dynamique.

Il peut même nous arriver de penser tellement et si fort, que le corps, privé d'énergie et d'attention, reste paralysé, hébété. Immobile, nous dédions toute notre attention et notre force à ce personnage forcené qui sature notre esprit de bruit.

Bien des traditions parlent de cela, certaines nomment cette partie de l'esprit : ego.

Qu'est ce que l'ego ? C'est l'attachement que l'on a au personnage que nous croyons être. L'ego est la force de notre individualité qui se veut importante, c'est notre façon de nous accaparer le monde.

Einstein, qui était clairvoyant, disait de l'ego qu'il est "l'illusion d'optique de l'esprit".

Nous avons besoin du mental pour agir dans le quotidien, mais beaucoup moins que ce que nous pensons. On pourrait même aller plus loin en admettant que l'ego est utile au début de notre évolution uniquement dans le but d'être dépassé.

Nous sommes visiblement coincé dans cette étape de l'évolution depuis quelque temps, sachant que les taoïstes en parlaient déjà depuis 4000 ans…

Mais depuis des années, les renaissances des mouvements spirituels nous donnent la possibilité d'avoir les informations pour faire le travail : se libérer de notre esprit égotique pour aller vers une éthique de vie différente.

La source de notre ego réside dans notre "boite", un ensemble de concepts et de préjugés qui s'accumule depuis la prise de conscience de notre nom.

Autour de l'évolution de l'enfant, les gens vont qualifier, critiquer ou encenser le petit qui va prendre une bonne partie des informations comme "valides et sérieuses".

En accord ou en réaction, dans le besoin d'être important et différent, le reste du développement de la psyché (l'esprit) va se faire en accumulant et en rajoutant des informations.

Ce fatras conceptuel, fédéré par l'importance de notre nom, va nous créer un bel ego qui se veut de survivre…pour cela, il a a sa disposition le mental.

La création de pensée compulsive va permettre de conserver l'ego dans un bien être bruyant en lui fixant des limites claires d'une personnalité "acceptable".

La volonté d'avoir raison, d'être important, de briller et de gagner sont des façons de renforcer son ego et de s'assurer de sa force.

La confrontation au sans limite, à l'infini, à la non dualité ou au fait de ne pas être la chose la plus importante de l'univers…tout cela est une menace pour notre ego.

Les voies spirituelles cherchent cette liberté dans l'acceptation d'une unité du monde et de l'éphémère de l'humain…cela ne va pas pour plaire à notre Esprit Singe.

Nous avons tous l'expérience d'un "vide mental", d'un silence en voyant quelque chose de beau, d'un plaisir qui court-circuita l'esprit mental…mais qui fut commenté dans la seconde pour ne pas perdre pieds, pour ne pas perdre ses limites, ses repères.

La pratique cherche à installer ces moments à la place de notre mental aliéné et d'utiliser celui-ci dans le cadre de sa fonction : penser.

Voilà pour une introduction sur ce fou qui domine notre esprit.

dimanche 8 novembre 2009

Les Degrés de la Simplicité


Dans les progrès de sa pratique, il est souvent difficile de voir ce qui se passe.

Le professeur est là, mais il est utile de comprendre deux ou trois choses.

"Une pratique sans concept évolue en aveugle, mais des concepts sans pratique sont stériles"

(A. Einstein)

Il faut voir plusieurs choses :

- Les phénomènes

- Les niveaux de conscience

- Les stades d'évolution

- Les qualités développées

Dans l'entraînement, il est possible de ressentir des phénomènes, plus ou moins forts, qui n'ont aucune importance, mais qui sont réels.

Que vous sentiez ceci ou cela, dans le cadre d'une pratique, est toujours vrai, si vous le sentez plus que si vous l'imaginez évidemment… mais cela importe peu.

Dans le cadre de l'évolution sur la Voie, l'élève va passer des caps, changer de niveau de conscience, évoluer vers une plus grande sensibilité à la réalité, mais aussi sentir pendant quelque temps, une autre réalité.

Ce que vous pouvez percevoir sera analysé en fonction de votre compréhension, de votre progression au sein des grands principes d'évolutions ; il n'est en effet possible de comprendre qu'avec ses outils mentaux du moment.

Les qualités développées vont s'intégrer dans ces perceptions avec le niveau d'éveil présent.

Ce sont des niveaux différents, des capacités différentes, un travail différent pour évoluer au sein de chaque concept.

Les phénomènes :

Dans l'acquisition de plus d'énergie, on peut être sujet à des "flash" de réalité qui choquent ou réveillent. Le corps étant impliqué dans cette partie de l'entraînement il peut nous transmettre des sensations nouvelles ou anciennes au niveau de la perception.

Tout cela est réel, vous le sentez, mais il ne faut pas trop s'y attacher.

Les commenter, disséquer ou supputer à partir de ces phénomènes, est une perte de temps, mais aussi une façon qu'a le mental de s'approprier votre expérience.

Il est très utile de le partager avec votre professeur, afin de le tenir informé, sans pour autant en attendre un retour quelconque.

À tous les niveaux de pratique, il est possible de se leurrer.

Les niveaux de conscience :

Du premier jour de pratique jusqu'au dernier, on peut avoir un goût du Dao.

Il est possible, sans pratiquer, de percevoir l'infini tout comme il est possible de pratiquer sans cesse tout en restant dans le brouillard de son mental.

Dans la vie courante, nous identifions trois niveaux de conscience de base : l'état de veille, le rêve et le sommeil profond.

Dans le cadre de la pratique, nous parlerons de neuf états en tout, trois par niveaux de base.

En effet, dans l'état de veille, c'est un euphémisme que de dire que nous ne sommes pas toujours présent, nous errons souvent dans des états plus ou moins gluants d'inconscience.

Nous parlons, dans l'état de veille, de la présence, de l'inconscience normale et de l'inconscience profonde.

Dans l'état de rêve, nous avons le rêve conscient, le rêve dirigé et le rêve inconscient.

Mais ces incursions au pays de la conscience ne sont pas stables, ce ne sont que des moments qui arrivent et repartent sans savoir pourquoi.

Ces petits moments de clarté permettent de voir vers quoi l'on tend, ce que l'on cherche.

C'est utile pour la recherche mais ce n'est pas la recherche elle-même.

La pratique permet d'installer cet état de conscience pour en faire une normalité.

De plus, cette perception de la réalité ne pourra se comprendre, s'interpréter, qu'en fonction de son évolution personnelle.

Les stades d'évolution :

Ce n'est pas une façon de juger mais une façon de comprendre : c'est comme l'enfant qui évolue vers le langage, ce n'est pas que ça soit "bien", c'est juste une évolution.

Contrairement aux niveaux de conscience qui peuvent aller et venir, être instables et changeants, les stades d'évolution, eux, sont permanents : l'enfant qui a accès au langage ne peut revenir en arrière.

Il n'est possible d'aller que de l'avant et quand un stade est atteint, il devient inoubliable, acquis.

Nous allons toujours pratiquer dans une recherche de la compréhension de soi. Dans ce travail, nous irons vers la connaissance de l'autre. Par un regard sur soi et l'autre, nous allons percevoir différemment les changements du monde.

Les trois stades d'évolution vont de soi, l'un à l'autre, dans l'idée de mieux saisir les changements du monde.

Nous allons de l'un (nous) vers le deux (l'autre) puis vers le monde (tout le reste).

道生一 , 一生二 , 二生三,三生萬物

"Le Dao produit le un, le un donne le deux, le deux donne le trois et du trois les 10 000 choses."

Laozi, chap. 42

Dans la pratique nous parlerons de neuf stades, trois par niveaux de base.

Les stades d'évolutions permettent une lecture différente d'éléments identiques.

Les "grands principes taoïstes" possèdent les deux : les niveaux de conscience et les stades d'évolution.

Les qualités développées :

Quelle que soit la discipline abordée, et parce que les gens n'ont pas la même éducation, les mêmes facilités ou la même expérience, chacun pratiquera avec ses forces et ses faiblesses.

L'idée là est simple : pour que la Voie soit juste, elle doit être équilibrée.

Nous devons aller dans les aspects de la Voie qui nous plaisent et dans ceux qui soulignent nos faiblesses.

Les trois qualités de base sont le corps, l'énergie et l'esprit. Nous devons aller vers le qigong, le Neidan (alchimie interne) et le Shen gong (méditation) pour couvrir toutes les facettes de notre être.

Pour le corps, nous travaillons la structure physique (force), le rapport à soi dans l'espace (enracinement) et l'échange entre le corps et le monde (détente).

Pour le neidan, nous pratiquons les trois stades décrits dans l'enseignement.

Le travail du shengong possède lui aussi trois niveaux.

La question n'est pas de travailler plus, mais de diviser notre temps de pratique entre les trois niveaux corps, énergie, esprit.

Voilà pour une compréhension plus fine de notre développement dans la Voie, une dissection peu utile à la pratique, mais tellement satisfaisante pour notre mental.

jeudi 5 novembre 2009

Pratiquer à se faire Plaisir



Quand vous entrez dans une pratique sérieuse, normalement, dès le 2ème mois vous avez déjà trop de mouvements de pratique à effectuer. 

Le professeur doit avoir les moyens de vous confronter au travail à effectuer sous plusieurs formes. L'accumulation des exercices permet ainsi de vérifier par soi-même son évolution. Il est important de s'en tenir à tous ces exercices pendant quelque temps.

Le principal est de tout travailler sans chercher une logique dans les exercices. À chaque période de son évolution dans la Voie, il faut savoir aller dans le sens des exercices. On peut, à certains moments, discuter de la Voie et de ce qui est recherché, mais on doit à d'autres moments savoir être dans la pratique, et rien que la pratique.

Rapidement, il faut installer dans sa pratique une part égale des trois facettes de la Voie :
- un aspect physique, pour le corps,
- une facette énergétique qui nourrit le Qi (énergie),
- une composante méditative qui cherche à connaître le Shen (esprit).

Sans cette répartition égale entre les trois éléments de l'être humain, on instaure un déséquilibre. Il est évident que lorsqu'on débute dans la pratique, ce déséquilibre est déjà présent, c'est pourquoi il est important de le corriger le plus rapidement possible, avant d'aller plus loin. 

La plupart du temps, les douleurs et les faiblesses du corps demandent une voie plus physique au départ. L'esprit brumeux de la plupart d'entre nous, et débordant de préjugés gluants nécessite des exercices de Shen gong (travail de l'esprit). 

La perte d'envie et d'enthousiasme, malheureusement courante au sein de notre société molle au fond dépressif, demande de réveiller l'énergie en nous.

Au bout d'un an d'entraînement, on doit pouvoir instaurer deux phases dans son temps de pratique : l'apprentissage (où on ajoute, on raffine et on pense) et la pratique elle-même (qui se fait dans le "ressenti", sans pensée). 

En effet, sans une continuité dans l'enseignement, sans un rapport constant avec la Voie et la découverte de ce qu'elle est, on peut régresser, voire oublier. Il est donc bon d'affiner sa pratique en allant toujours plus loin dans l'apprentissage.

D'un autre coté, il est nécessaire d'avoir une phase d'action libre, de fusion dans le ressenti de ce qui est le mieux connu. Au début, un geste simple que l'on comprend bien est suffisant. Mais sans ce moment où l'attention est posée sur ce qui est senti, oubliant l'imperfection de ce qui est connu, la Voie n'existe pas.

Si l'entraînement n'est qu'apprentissage, on finit par se corriger des décennies durant sans jamais avancer sur la Voie. C'est comme inspecter son véhicule avant un long voyage, aménager l'intérieur et vérifier la pression des pneus… pendant 20 ans et à la fin, n'avoir effectué aucun voyage. 

Il existe des voies modernes où tout le temps d'entraînement (en groupe ou individuel) repose sur une correction maniaque de tout ce qui ne va pas. Dans cette focalisation névrotique, il n'y a pas de pratique, il n'y a pas d'évolution, c'est une perte de temps.

Si dans l'illusion de la pratique, vous vous perdez dans les mouvements, c'est que l'apprentissage n'est pas suffisamment respecté et que cette fausse pratique ne sert à rien. Il est possible de prétendre être dans le "ressenti", plongé dans les limbes astrales, mais la vérité, c'est que l'on est perdu dans le fatras de son mental. 

Le ressenti, simple présence au corps et à l'énergie, mais présence tout de même, permet d'être dans le geste juste, connu. Si on ne parvient pas à cela, c'est que l'apprentissage n'est pas suffisant, que le travail est incomplet, que l'on ne travaille pas dans le bon esprit. En aucun cas le ressenti ne doit faire perdre de vue la forme des mouvements, il en est au contraire, partie intégrante.

Si vous n'avez pas ce problème, il faut alors commencer à "trier" la pratique. Dans un souci d'équilibre entre les trois phases de la pratique, et une bonne gestion du temps d'apprentissage et de pratique, il faut aller plus loin : il faut se faire plaisir.

Seul celui qui se destine à l'enseignement doit connaître tous les aspects de l'enseignement. Le pratiquant, lui, n'a besoin que d'une voie qui lui convienne et qui va dans le sens de ses besoins.

L'apprentissage doit rester l'apprentissage, en revanche la pratique, pour être considérée comme telle, doit prendre tôt ou tard, une forme plaisante.

Dans l'ensemble de ce qui est connu, avec l'accord du professeur pour ne pas faire de bêtises, il faut donc façonner la pratique en vue de se faire plaisir. Le travail des qualités, le fond, peut s'exprimer sous des formes différentes. 

Il est donc possible d'articuler sa pratique, tout en respectant la Voie, dans une expression qui plaît, qui fait plaisir.

Que l'on choisisse un style plutôt qu'un autre (taijiquan, baguazhang, xingyiquan….), que l'on préfère le travail des bases plutôt que celui des formes avancées (qi gong simple, nei gong…), que l'on décide de tout faire avec la même forme plutôt qu'avec des formes diverses, ou l'inverse… tout est bon à partir du moment où les bases sont respectées (c'est pour cela que l'approbation du professeur est importante et qu'il ne faut pas se laisser aller à sa créativité sélective).

L'enseignement est assez vaste pour exprimer la Voie sous des formes plaisantes.

Il est inutile d'avoir une pratique "pénible", le "no pain, no gain" ne sert à rien.

lundi 2 novembre 2009

"Contractilité" Musculaire


Le muscle, comme notre esprit, ne peut pas faire deux choses à la fois. Soit il est au repos, prêt à l’emploi, soit il est en fonction, et par conséquent inutilisable. Il est possible parfois de le trouver dans un état médian, ce qui est pathologique ou transitoire (courbatures ou blessures). Pour obtenir une réaction rapide, sans parasites face à un stimulus, il faudrait que notre muscle soit toujours dans un état d’alerte mais détendu… hummm, les paradoxes commencent.

Dans une telle situation, nous nous retrouvons souvent englués dans des joutes verbales sans importance et nous ne parvenons plus à trouver les mots. Plus tard, nous nous en voulons de n’avoir pas dit ceci ou cela. Pendant l'altercation, notre esprit était alors tendu à cause d'une projection dans le futur ou dans ses mémoires du passé, donc trop occupé pour accéder au présent ; nous étions paralysé en somme.

Voilà dans quel état se retrouve notre corps beaucoup trop souvent !

Ce que nous recherchons par le biais de la pratique, c'est un corps qui consomme le moins possible d’énergie, pour ne pas l’user bêtement, mais qui répond instantanément quand il est utile de le faire. Nous sommes aidés dans la vie par des " drogues " naturelles fabriquées par le corps, elles nous permettent de nous dépasser. Mais notre esprit est tellement tourmenté par nos pensées compulsives et nous sommes tellement ignorants des mécanismes de défense, que cela nous paralyse au lieu de nous aider. La décharge d’adrénaline qui va parcourir notre corps en cas d'urgence va souvent être interpréter comme une sensation de faiblesse. En réalité c’est une sensation de légèreté qui ne demande qu'à être suivie par l’action, la " contractibilité "parfaite de nos muscles prêts à tout.

Notre corps doit être détendu pour répondre correctement à ces signaux, sinon cela demande des efforts terribles de lutte entre une volonté de rester paralysé et cet "involontaire" (principe de vie de chaque cellule) naturel qui ne demande qu’à agir. Pour obtenir cette détente, il est nécessaire d’avoir une pratique quotidienne qui permette de garder notre structure dans son état naturel de repos. Le " repos " n’a rien à voir avec une mollesse prônée par les adeptes hystériques d’une non violence illusoire. C’est un état transitoire entre deux actions de la vie, simples ou complexes. Le corps est tonique mais pas dur, l’esprit relâché mais pas endormi.

Notre esprit est un facteur essentiel pour la détente du corps. Dans une action spontanée, il n’y a pas de dépense d’énergie inutile. Dans une action gavée de pensées contradictoires et confuses, le corps est tendu et contrarié dans un conditionnement de " mal faire ". Le travail de la détente du corps passe par la relaxation de notre "boite à pensées". Pour qu’un exercice soit utile, il ne faut pas qu’il soit intellectualisé au début, dans la phase d’apprentissage : C’est là qu’il est utile de juste suivre les conseils de son professeur sans poser trop de questions. Quand l’ensemble corps/esprit est détendu dans la réalisation du geste, convenable ou pas, alors il est temps de discuter. Trop souvent les jeunes pratiquants cherchent à discuter sur le fond et la forme de ce qu’ils vont faire avant même d’avoir esquissé le moindre geste. Le professeur qui rentre avec eux dans un débat d’idées est un mauvais enseignant : Il flatte son ego dans une discussion houleuse à travers laquelle il va étaler son savoir et gâcher toute chance de découverte du " jeune scarabée ". Le professeur qui souhaite faire évoluer profondément son élève ne lui dit rien si ce n’est " au boulot et tais toi ! ".

L’intention est nécessaire pour initialiser les gestes, mais elle va devenir très vite un problème. Dans l’intention, nous mettons toute l’attente et l’espoir dans un geste qui voudrait rester dans le domaine de l’action pure. Sur une frappe, la volonté de puissance et les fantasmes du résultat vont compromettre le succès de celle-ci. L’intention est un starter, comme avec une voiture des années 80, mais rouler à fond avec le starter est l'assurance d’un résultat bien triste.

L’intention est utile dans la phase d’apprentissage, mais reste un handicape dans la phase de pratique ; quant à l’utilisation dans les arts de combat, c’est une catastrophe !

La réalisation sera un miroir de l’entraînement et c’est dans cette préparation que le " Yi " (intention) sera utile. Dans l’usage c’est un poids qui encombre.

Les exercices qui auront suivis les phases d’apprentissage et de pratique seront prêts pour l’utilisation. Il sera inutile de rajouter une intention, une attente ou une prière, ce sera trop tard !

Dans la médecine chinoise c’est le foie qui est responsable de la bonne circulation de toutes les manifestations de l’énergie dans le corps (sang, énergies nourricière et défensive, liquides organiques). Toute tension de l’esprit ou du corps le blesse et il rechigne ensuite à faire son travail correctement. Même d’un point de vue cellulaire, le stress tend et raidit les cellules qui seront moins performantes pour une action donnée. Trop d’intentions ont rendu nombre de pratiquants d’arts martiaux coléreux et malades, tristes et un peu fous… trop de tension !

Pour leur naturel spontané aux gestes d’un être humain détendu et en bonne santé, il nous faut nous détendre. Les exercices sans but évident, le travail quotidien sur l’intimité avec notre corps et le travail de reconnaissance de notre esprit ; voilà de quoi faire !

Embrasser l’Infini


Une pratique personnelle permet plusieurs choses : elle permet de se focaliser et de développer l'écoute en réduisant le bruit de notre corps et de note esprit. Ainsi, nous allons pouvoir toucher des niveaux d'écoute différents en fonction de notre engagement dans la pratique.

Une des premières manifestations de l'entraînement quotidien, c'est d'éviter de blesser notre corps par des positions néfastes tout au long de la journée. Par les exercices qui nous amènent à retrouver notre alignement naturel, nous ne pouvons plus accepter de prendre des positions qui vont à l’encontre de notre structure. Etant plus conscient, on peut plus facilement sentir la gêne occasionnée et y remédier pour ne pas subir les douleurs qui sont le résultat de positions néfastes conservées sur une longue période. C’est un premier niveau de réalisation.

Un peu plus loin dans la pratique, nous pourrons nous familiariser avec les changements internes qui précèdent les maladies et ainsi nous en éloigner. Dans cet état d’écoute, nous pourrons savoir quand nous sommes vulnérable aux conditions climatiques, mais aussi à cause de la fatigue. Trop souvent, la fatigue est combattue (ou niée) et chassée au lieu d’être écoutée. C'est ainsi que dans l’épuisement, nous sommes amenés à puiser dans notre patrimoine énergétique pour fonctionner dans la vie. Par une écoute précise et éduquée du corps, nous savons mieux quand il est nécessaire de nous reposer. Voilà le deuxième niveau d’écoute.

Si la pratique devient importante dans sa vie, nous pouvons aussi sentir plus finement notre fonctionnement émotionnel, à l'occasion des changements internes par exemple. Avant qu’une émotion soit perçue comme telle, il existe une myriade de changements subtils dans le corps qui peuvent être " entendus " dans une écoute détendue. Par cette sensation des changements, nous pouvons vivre sans être victime, toutes les émotions de la vie. C’est le troisième niveau d’écoute interne.

La découverte de cet état de silence est impressionnante : nous réalisons que nous ne sommes pas ce que nous pensons être. Nous ne sommes pas ce corps/esprit conditionné par notre patrimoine génétique et notre éducation, nous sommes autre chose. Ce que nous sommes, notre pratique va nous le présenter aux fils des années d’entraînement.

Il nous est difficile de pratiquer, cela est en partie dû à notre déficience d’attention. Nous ne parvenons à nous focaliser que peu de temps et peu souvent dans la journée. Nous préférons fonctionner en automatique, branché sur nos habitudes acquises lors de notre éducation formelle ou non. Ces automatismes vont nous plonger dans les mêmes joies et les mêmes désespoirs quelque soient les situations. Nous ne serons donc pas vraiment joyeux ou triste, mais nous ne ferons que répondre automatiquement de façon appropriée. Bien souvent, après quelques mois de pratique, nos envies changent et notre appréciation du monde évolue. Nous sortons du mode "robot" bien élevé qui réagit correctement, pour redevenir un être humain à part entière. Les choses qui nous catastrophent sont souvent liées à notre passé ou à nos projections dans le futur, aux réactions de nos parents ou de notre milieu social, mais nos réactions sont rarement les nôtres. " L’éveil ", le retour à un naturel qui est notre vraie nature, nous permet de nous focaliser sur la réalité et de ne pas fonctionner sur notre imagination de la vie.

Non seulement nous ne sommes pas ce que nous croyons, mais en plus ce que nous croyons percevoir n'est peut être pas réel non plus. Notre perception est presque toujours parasitée par nos pensées compulsives qui se nourrissent de notre capacité à ne pas être présent. Par la pratique, nous pourrons apprendre à nous focaliser pour être présent à la réalité des perceptions. Après avoir découvert qui nous ne sommes pas, nous découvrirons ce qui n’est pas : le monde vu par notre filtre égotique de pensées.

Une autre raison qui nous sépare de la réalité réside dans la croyance en nos limites. Ces imites sont de toutes natures et nous nous les imposons. Que l’on se croit trop vieux, trop bête ou trop faible, la pratique va nous confronter à la réalité : nous n’avons pas de limites et l’esprit individuel qui réside en nous n’aime pas cela du tout. Notre ego, farouche gardien de notre différence et de notre individualité, ne peut survivre qu’avec des limites bien définies de ce que nous sommes. Une perte de ces limites est une condamnation à mort pour celui-ci. Grâce aux exercices qui constituent le début de notre pratique, nous réaliserons à quel point nous pouvons tout faire et comme nous sommes bien plus fort que ce que nous pensions. Nous avons une capacité à embrasser l’infini, libre et léger dans le silence de notre état spontané… mais nous préférons nous recroqueviller dans un ressassement maladif de nos troubles passés et de nos angoisses futures. Voilà une bonne raison de se mettre à la pratique s’il en fallait !

Dans notre voie, nous allons franchir ces limites et nous rencontrer. Dans la perception de qui nous sommes et de la réalité du monde, nous allons revenir à nous-même dans la fusion aux changements du monde.

Les douleurs, les interrogations intellectuelles et les émotions vont être les armes de l’ego pour nous enlever le goût de la totalité. Il réussira à nous faire douter pour nous éloigner d’une pratique qui l’annihile. Nous en voudrons au professeur et au monde entier de fonctionner de façon si conditionnée. Mais la pratique reste à notre portée, toujours prête à nous accompagner dans nos tentatives d’exploration.

La pratique ne demande qu’une action simple : " faire ". Elle demande aussi de ne plus " raisonner " ni " penser ", juste de " faire ". C'est pour cela qu'un professeur est nécessaire. Il est là pour amener la dose pédagogique de confusion nécessaire pour empêcher l'élève de rationaliser la voie. Dans ce flou, ce manque de repères, il faut s’en remettre à son expérience pour rentrer dans la voie comme on plonge d’un précipice. Dans cette rencontre avec soi-même, le professeur sert d’entremetteur, d’intermédiaire. Le vrai travail est le nôtre, pas le sien.

Rendre la pratique comme étant la chose la plus importante de sa vie n'est pas une obligation, tout comme il est aisé de vivre toute sa vie sans ouvrir les yeux sur le monde. La vie est plus simple sans pratique, on se pose moins de questions. Par ailleurs, c’est plus confortable pour se fondre dans un quotidien sans relief, sans saveur.

Mais a-t-on le choix ?

Sur la Voie en traînant les pieds


Il est assez rare d'oser rentrer sur une Voie, mais il est encore plus rare de pouvoir y rester.

La prise de conscience qui découle d'un début de pratique ne peut s'oublier. Celui qui commence une recherche ne peut l'oublier. On peut tenter de l'occulter, mais c'est toujours là.

Après avoir assimilé une information, celle-ci reste dans le domaine du connu… on ne peut l'oublier. Nous parlons là de prise de conscience, pas de détails du quotidien.

Dans le regard sur sa vie, son corps et son esprit, la rencontre d'une réalité plus riche demande une introspection plus intense. Nous sommes tous suffisamment attachés à nous-même et à notre image pour mettre cette information dans ce qui est important.

Il arrive que la vie nous éloigne de cette pratique, mais le dossier reste ouvert, et les questions en suspens.

Malgré cela et pour différentes raisons, nombre de pratiquants débutants vont sortir de leur Voie, de l'enseignement qu'ils suivent. Ce retour au mondain, sans pratique, est souvent un abandon, une fuite. Par ailleurs, il existe aussi ceux qui vont pratiquer mille enseignements à la fois sans vraiment rien faire, cela rappelle l'histoire de la petite souris…

La question du temps est aussi posée, mais qui n'a pas le temps de se consacrer une heure dans la journée ?

Évidemment, cela passe par le fait d'établir clairement ses priorités.

Il existe deux facettes du pratiquant.

Dans celui qui pratique, il y a le "bon pratiquant" et il y a l'autre.

Le bon pratiquant est cette image de soi dite "spirituelle" et qui est dans une voie. Puis, il y a celui qui "sait tout", notre ego et tout ce qu'on cache aux autres.

Dans cette face cachée, il y a tout le "sale" et le "méchant", tout ce qu'on essaye de ne pas montrer dans notre personnalité, notre personnage public.

Il est difficile de ne pas céder à celui qui à raison, qui sait tout… parce que c'est celui qui nous montre comme nous avons raison et comme nous sommes supérieur, important.

Tant que notre pratique ne nous permet pas de renoncer à ces deux facettes de nous-même, tant que nous devons nous cacher derrière notre personnage, tant que nous nous croyons important et intelligent, tant que l'on se sent vexé ou sur la défensive, nous ne sommes que dans notre illusion.

Dans ce mal être, la recherche va passer de plaisir à douleurs sans stabilité, sans enracinement, sans paix.

En réalité, nous ne sommes ni le bon pratiquant, ni nos pensées compulsives, nous sommes ce qui est au fond, ce que nous ne connaissons pas, ce qui est là.

Ce témoin silencieux, cette présence, cet esprit vrai est notre recherche.

La Voie nous permet d'aller vers cette rencontre avec nous-même, profondément et sans compromis.

La solution est-elle dans la pratique constante ?

Oui, mais elle est dans la pratique fondue dans la vie et non dans une pratique artificielle qui recouvre la vie.

Il est possible de pratiquer pour fuir la vie, le quotidien. Il n'est pas souhaitable de faire cela, il faut aller dans la réalité pour aller vers "qui on est vraiment".

La pratique qui fuit la vie est à l'origine de "l'ego spirituel", une nouvelle facette de soi, un personnage spirituel.

Un enseignement intelligent amène une pratique qui est conçue pour aller dans la vie, sans rituel, sans artifices.

Avec une compréhension de la Voie, nous effaçons les limites de la pratique et de la vie, nous confondons les deux, et seule subsiste une vie dans la présence d'une voie et une voie fusionnée à la vie.

Nous avons besoin d'une pratique claire, sans but précis, mais dont la forme est déterminée.

Nous devons travailler sur les domaines qui font émaner celui que nous sommes vraiment et qui lutte trop souvent contre notre personnage mondain. Il est donc nécessaire de travailler sur le corps pour la détente, la circulation de l'énergie pour la santé et sur notre esprit pour arrêter de se prendre au sérieux le plus vite possible.

Il n'est pas question de remettre cela à "plus tard", quand "on aura le temps", quand "je serai prêt"… il faut commencer maintenant, tant qu'on peut.

Dès cet instant, il est possible de poser son attention sur ce que nous faisons, sur le regard de nos actions, mais aussi de s'assurer que l'on va faire son chi kung ce soir… c'est maintenant qu'existe la pratique.

Il est possible d'aller dans sa pratique sachant l'importance de celle-ci, mais en "traînant les pieds".

C'est parce que nous nous écoutons dans notre fausse importance, notre précieuse personnalité, notre volonté d'avoir raison… il suffit de tourner son attention vers cela.

En nous regardant nous contorsionner dans un quotidien souvent faussement complexe, dans des moments d'illusions douloureuses et de ressassements inutiles, nous pouvons nous observer et nous gausser.

Ce regard sain sur notre folie ordinaire nous ouvre une route vers notre Voie, un aperçu de la réalité.

Dans cet éveil simple, sans artifice ni fanfare, nous pouvons rester dans la vie en pratiquant chaque instant. Cette attention détendue, mais constante, nous permet de remettre de l'ordre dans notre vie de tous les jours.

Dans le cas où on se croirait vraiment détendu et silencieux, arrivé au bout et victorieux de son ego…

Le professeur sera là…

mardi 20 octobre 2009

Fréquence de la Pratique


Il arrive, dans les discussions, de parler des fréquences de sa pratique.

Pour ce qui est des arts internes chinois, d’inspiration taoïste ou pas, si la pratique n’est pas quotidienne, il n’y a pas de pratique. Cela peut paraître exagéré, mais c’est une réalité.

Il n’est pas possible de pratiquer " un peu ", de temps en temps, cela ne peut être une pratique interne qui amène quelque part.

Je reprends ici une image qui m’est chère, celle de l’eau qu’il faut faire bouillir : l’alternance d’un feu fort et d’un temps de pause, ne permettra pas à l’eau d’arriver à ébullition. Il faut une continuité dans le feu pour chauffer suffisamment le liquide, qui ainsi arrive à la température critique du changement.

La pratique est à l'image de cet exemple. Cette transformation, cette alchimie, ne peut s’effectuer qu’avec un effort soutenu et détendu ; sinon, soit on brûle la casserole, soit on ne fait pas suffisamment chauffer l’eau…mais c’est un autre sujet…

Le fait de participer à des " séances " de Tai Chi Chuan trois fois par semaine ou de prendre des " cours " de chi kung ne signifie pas pratiquer… Il ne faut pas confondre !

Les exercices appris en cours, les théories et les formes, ne servent qu’à découvrir la pratique personnelle, unique source des changements.

Cette nouvelle manière de vivre, basée sur une conscience permanente de ses actions, en accord avec les concepts de sa pratique, n’a rien à voir avec sa séance divertissante de " sport ".

Il ne suffit pas de faire des petits mouvements lents en respirant par le nez, ni de se déguiser en chinois, avec la musique qui va avec, pour prétendre être dans l’interne. Non, pour cela, il faut respecter un protocole d’entraînement extrêmement précis, le tout sur une durée certaine.

Il serait facile et injuste de lancer des choses comme ça et de s’arrêter en disant " y faut pas faire ça, c’est pas bon… salut ". Puisque j'en ai l'occasion, je préfère vous faire profiter de la vision de ma tradition, histoire de partager.

Ce n’est pas " la " vérité (ou alors c’est un coup de chance…), mais c’est proche de " ma " vérité.

Le travail quotidien doit suivre une direction précise qui demande une réelle continuité et une exclusivité dans la constance de l’effort.

La compréhension profonde de chaque partie permet de pouvoir se libérer de " ce qu’il faut faire " pour aller vers une voie " naturelle " et personnelle.

Le fait de " modifier " l’entraînement avant d’avoir été au fond de celui-ci ne permet pas d’évoluer sur des bases solides. Le fait de rester " coincé " dans ses petits concepts de " vérité " est encore plus triste ; c’est un signe de manque de liberté.

La pratique est précise et stricte, mais elle doit se libérer, s’unir tôt ou tard à ce que l’on est. Elle ne doit pas rester bloquée sur ce qui est enseigné, mais doit grandir et retourner au naturel.

Les étapes sont souvent les mêmes dans les arts internes chinois :

- détendre le corps,

- former le corps,

- enraciner le corps,

- renforcer le corps,

- coordonner la respiration,

- unir le souffle et le geste,

- calmer l’esprit et renforcer l’intention,

- sentir et unir l’énergie.

Ces étapes sont évidemment un résumé rapide, mais elles donnent une idée du travail à fournir.

Il est évident que si, dans la période où l'on détend le corps, on pratique le chi kung dur de la grue blanche (par exemple), les informations contraires ne peuvent être assimilées par le système neuro musculaire. Certes on bouge et on fait circuler le sang, mais on n’apprend pas, on ne construit pas.

De la même manière, si on pratique la boxe américaine et les exercices pour se détendre, ça va pas être possible non plus. On fera tout au plus du bon externe, détendu et fluide, mais ça ne sera jamais de l’interne.

Ca ne marche pas non plus avec la boxe thaï et le sumo...

Les changements profonds, qui ont un autre but que simplement savoir se mettre des grandes baffes qui piquent, demandent une continuité et une présence au travail (non, on ne peut pas faire l’arbre en regardant Claire Chazal aux infos ou un film de Jet Li ! C’est mieux que rien, mais le vrai travail n’est pas là, et de toute façon, " il faudra creuser là ou on a laissé la terre ").

"Unir" suppose de ne pas disperser.

Il faut, pour une pratique interne suivant les traditions que je connais, respecter plusieurs étapes qui dictent les lignes directrices du travail :

- Comprendre le travail à faire (précisions et tutelle d’un professeur "qualifié") pour ne pas travailler dans le vide, pour rien, ou en faisant des âneries qui gâchent tout.

- Amener un confort dans la pratique : physique et intellectuel. Une pratique qui est trop loin de ses disponibilités, qui va à l’encontre de sa culture, que l’on ne comprend pas, qui fait trop souffrir… ça n’est pas possible, il faut aménager pour trouver ce confort, sinon ça ne mène à rien. J’ai pas dit que ça allait être facile…

- Intégrer sa pratique à sa vie… ou en fait, sa vie à sa pratique.

- Il ne faut pas aller " contre " les changements qu’amène sa pratique (professionnels, affectifs, physiques…), c’est un bon exemple du " non agir ".

- Il faut répéter ses exercices sans relâche et sans trop de questionnement (tout en sachant qu'il est impossible pour les occidentaux que nous sommes de ne pas se poser de questions…)

- Il faut que l’attention soit totale mais détendue… Je sais c’est de la science-fiction, mais je partage mes enseignements. Bon, si on est à ce qu’on fait, c’est déjà pas mal.

Trop souvent, la concentration est une attention " coincée " sur un sujet, une image, un but.

L’intention peut être " attentive " ou " concentrée ".

Le " yi " est une conceptualisation qui tend à vouloir se réaliser par le " zhi ", la force des reins. En gros, le " yi " dit : "je vais lui mettre une bonne beigne grâce à la compréhension de mon corps et la coordination de mes chaînes tendino musculaires", mais le " zhi " doit faire, ou fuir (" fight or flight " syndrome).

L’erreur qui est souvent commise par les pratiquants qui aiment les arts de combat de manière intellectuelle, c’est de penser beaucoup " comment " et " pourquoi ", par le " yi ", mais d’oublier de nourrir la bête, de renforcer le corps, la force primale des reins, le " zhi ".

Un corps qui se sent faible, qui n’a pas confiance en lui, aura un " zhi " qui n’ira pas au combat réel.

Si on est " concentré ", suivant les termes définis ici, on est moins performant que si on est " attentif " ; un peu comme le muscle qui doit être souple, pas tendu.

Encore une fois, la pratique quotidienne, avec ses inévitables " tests ", permet de comprendre cela bien mieux que ces mots sans valeur.

- Et, grand secret, s’il y en a, il faut découvrir un " trésor caché ", il faut " entrer " dans l’interne par la découverte de l’enthousiasme, le plaisir de la pratique. C'est l’enthousiasme qui nous empêchera d’avoir des distractions nocives pour notre pratique, parce qu'on aura mieux conscience de la valeur de ce que l’on a.

Cette façon de travailler se doit d’être la même pour les différents aspects de la pratique, qui ne sont pas progressifs, mais mêlés les uns aux autres.

Il n'existe pas de " demi pratique ". Si la pratique interne n’est pas "fusionnée" à sa vie, alors on est sur le pas de la porte, mais on n’est pas encore rentré.

Pour ceux qui prétendraient vouloir, mais qui évoquent de fausses excuses telles que les soucis logistiques par exemple, je dirais que si la disponibilité mentale est réelle et claire, la disponibilité matérielle aura tendance à se mettre en place d'elle-même.

Sans enthousiasme, il n'est possible que de prétendre ou de souhaiter, de vouloir et d'essayer, mais jamais de faire, or, toute notre pratique est dans l'action.

Découvrir l'enthousiasme ne peut s'apprendre, comme le Tao ne peut se décrire, mais nous avons les moyens de "toucher" cela par la pratique.

Plusieurs styles anciens de boxes internes chinois se nomment " men " et non " chuan " (poing) ou " fa " (méthode) ou encore " zang " (paume)… " Men " veut dire porte, entrée, portail, une entrée vers l’interne.

On parle de " pratiquer " la boxe chinoise, mais " d’entrer " dans l’interne, et on le fait par une porte : " men ". Il est évident que nombre de styles internes ne se nomment pas "men"... c'est un exemple.

Je pense que si on pratique 12mn par jour, tous les jours, sans effort ni questionnement, alors on peut " rentrer " dans l’interne. La constance du rappel au corps et au " shen " de cette connexion possible, ce feu lent, mais durable, peut arriver doucement à cette subtile ébullition… À mon avis le problème, c'est qu'il faudra sûrement revenir sur cette histoire de questionnement, d’enthousiasme et d’effort.

Cependant, pour pouvoir utiliser la puissance de l'interne dans les confrontations physiques, il faudra faire plus que 12mn par jour, ça c’est sûr !

Pour qu’une bonne droite soit plus proche d’un " bong chuan " que d'une bonne droite de cow boy, y va falloir bosser (moi, le premier…) !

Une frappe interne est pénétrante, cela demande un corps et un esprit détendus. Le corps " uni " a travaillé une fraction de seconde, et tout se déchaîne… Pour cela, je pense qu’il faut organiser sa vie autour de sa pratique pour que cela marche vraiment, mais c’est un choix difficile.

Voilà une vision de la pratique dans ma tradition, les arts taoïstes que je connais suivent ce chemin et je vous les livre comme je les ai reçus.