Nous voulons choisir, mais nous ne savons pas quoi, nous voulons quelque chose, mais ce n'est pas identifié ; bref, nous sommes là à tourner en rond. Dans les anciennes traditions, nous n'avions pas le choix. Il n'y avait pas de professeur disponible et en trouver un était fantastique. Quelque fut ce qu'il proposait, le jeune disciple se fondait dans la pratique : moins de question, plus de pratique.
Comment savoir qui est le bon maître, le bon guru, celui qui est éveillé et celui qui dort encore ?
La meilleure façon est de reconnaître dans la pratique la totalité que nous côtoyons dans le quotidien de notre discipline. Cela n'est vrai que si nous avons déjà l'expérience de cette totalité et que nous n'avons plus besoin d'un guide… Nous tournons encore en rond.
Doit-on donc disséquer avec méthode et logique tout ce que le professeur nous dit ou nous montre ? Doit-on questionner pour valider intellectuellement toute tentative de changement ? Sommes nous dans l'obligation d'aborder chaque exercice donné tel une bête sauvage ?
Peut-on apprendre quoi que ce soit dans ces conditions de doute et ce manque d'abandon ? Dans le cas de l'apprentissage de science ou de mathématique, cette démarche me semble la bonne ; par contre, pour les voies spirituelles cela paraît idiot.
Nous cherchons deux principes de base pour une pratique spirituelle ; nous avons besoin d'une certaine qualité de présence et d'une confrontation à la perte de nos limites, à la peur de la dissolution.
Sans présence, sans focalisation ou attention, il n'est pas possible d'accomplir quoi que ce soit, si ce n'est par hasard. Pour un exercice, sentir ou même imaginer, nous devons être à ce que nous faisons. Il en va de même pour les dévotions ou les religions : la prière demande une attention soutenue. Nous devons être présent sans être concentré, attentif mais détendu. Cette qualité d'attention demande bien des exercices, physiques et énergétiques, pour être comprise. Au commencement, il suffit d'être conscient des conseils de son professeur et de s'en souvenir. Nous voyons ici, qu'une personne dispersée qui se divise en myriades de pratiques et de professeurs ne peut que piétiner et stagner tristement. Cette dispersion de l'énergie permet de se faire croire que l'on accomplit plein de choses sans rien faire vraiment, car en réalité, on s'occupe pour se sentir vivre sans jamais aller vers l'Essence de la pratique. Bon, mais nous voilà attentif, enfin supposons, que faut-il d'autre ?
Notre ego nourri par nos pensées compulsives, à besoin de nous "cadrer", d'avoir des limites identifiables de notre être pour se sentir en sécurité. Cela nous pousse à répéter sans cesse les mêmes erreurs, à retomber sur les mêmes types de personnes négatives dans notre vie ou à subir les mêmes troubles durant des périodes de notre histoire. Ces soucis sont sécurisants pour notre ego, ils apportent un connu qui permet de savoir (faussement) qui nous sommes (selon notre mental, bien sur) enfin, qui est notre personnage en distorsion de la "réalité" plutôt. Dans la recherche spirituelle, nous allons vers ce que nous sommes vraiment, nous effectuons un voyage de retour vers notre vraie nature, nous enlevons ce qui fut accumulé pour une "réversion" très taoïste (chapitre XL du Dao De Jing). Cette confrontation avec les limites de notre ego nous conduit à une confrontation "fictive" avec la mort. Pour notre mental, notre ego, perdre ses limites c'est mourir, se dissoudre. Nous ressentons la possibilité de disparaître ; encore une fois, ce ne sont que des ruses de notre ego qui ne veut pas perdre son importance, ce n'est pas "réel". Sans cette confrontation, rien n'est possible si ce n'est le développement d'une forme d'attachement différente qui relève du domaine du "matérialisme spirituel". Nous ne pouvons sortir de nos limites que si nous sommes dans un abandon dans la pratique, défiant ainsi notre mental.
Il est donc nécessaire de s'engager totalement, ne serait-ce qu'une demi-heure par jour, sans questionnement, dans l'abandon d'une tradition.
Le questionnement a sa place, mais avant de s'engager. Dans la recherche préliminaire, dans l'identification de ses besoins, dans le choix de son professeur, dans le choix de ses chaussures d'entraînement, mais le questionnement n'a pas sa place dans la pratique.
Après avoir choisi sa voie, il est nécessaire de passer à l'action dans le respect de la tradition.
De nos jours, il est difficile d'être dans cette dynamique de totalité. Pour ne pas aller contre notre nature précautionneuse, nous pouvons contourner l'appréhension de base pour rassurer notre ego meurtri ; donnons nous une durée d'engagement limitée pour "entrer" dans notre pratique par exemple. Disons que nous allons commencer par un an, sans questionnement et dans l'engagement. Ce n'est qu'une ruse, mais qui fonctionne très bien.
Par ce côté rassurant de la période d'un an, sachant qu'on pourra réévaluer son choix après cette période, il est plus facile de se laisser glisser dans la voie. Si vous réussissez à "entrer" dans la pratique durant cette période, vous n'aurez alors plus de soucis.
Le nom de ma voie comprend en chinois le terme "men", la porte. Cette idée est importante. Nous avons la possibilité de rester devant, d'examiner et de juger cette porte.
Nous pouvons comparer, tâter ou encore pousser cette porte.
Nous pouvons regarder derrière, ouvrir et fermer sans entrer. Il est possible d'en parler, de la critiquer ou de l'ignorer. Cette porte peut faire l'objet de débats et d'envie, d'attente et d'agression.
Mais à la fin, comme avant de plonger dans une eau fraîche, il n'y a que deux solutions : nous entrons ou nous n'entrons pas.