Dans la concentration, utile au début pour éviter la distraction, une focalisation de type "tunnel" se crée : rien d'autre n'existe à part l'objet de notre concentration, quand bien même cela ne dure que deux ou trois secondes.
Cet "enfermement" sur notre action réduit automatiquement les autres perceptions : ainsi, un mouvement sera le centre focalisé de toutes nos perceptions, ainsi que de notre pensée compulsive, pendant le temps de notre effort.
Cela fonctionne assez bien, mais en général, la concentration ne peut tenir longtemps… et quand elle cesse, tout disparaît. L'explosion des distractions peut même nous faire oublier notre objet de concentration d'origine.
Même si elle est importante, la concentration est une "tension", une façon de faire "en force". Aucune façon de faire par "contrainte" n'a de pérennité, il est impossible de vivre dans ces conditions car ce n'est pas "naturel".
Quand nous apprenons un mouvement physique, sans être passé par l'acquisition du "gong fu", nous nous devons de nous concentrer pour ne pas oublier. Nous devons aussi répéter le geste assez souvent pour le faire "entrer" en nous. Pour la plupart des gens, un mouvement fait avec une certaine dose de tension va se ressentir plus facilement : la tension donne une plus forte sensation.
En général, un mouvement inconnu va nous créer des tensions et nous demander un effort qui n'est pas en rapport réel avec la demande physique nécessaire : nous forçons pour réussir à copier le geste, en résistance contre nos problèmes de souplesse et de coordination. Quand le mouvement sera acquis, nous utiliserons normalement la bonne "dose" de force pour l'effort requis.
Si nous gardons la même tension physique à chaque exécution du mouvement appris, nous nous blessons, nous nous contractons. Mais ce ne sera en fait jamais le cas parce que la douleur physique nous rappelle à l'ordre et nous en avons suffisamment peur pour l'éviter et ne pas nous pousser trop loin.
Pour la partie mentale, émotionnelle et intellectuelle de l'apprentissage, nous avons recours à une forme de "tension" pour acquérir le geste : c'est la concentration.
De plus, il est facile de rester "concentré" tout au long de nos pratiques, tout au long de notre vie tout en nous blessant car la difficulté intérieure crée une autre forme de douleur que la douleur physique. C'est une douleur que nous sommes capable de garder et de cumuler parce que moins physique justement et du même coup, en apparence, moins grave.
La concentration, utile pour l'entrée dans une pratique, peut devenir source de tension et de raideur dans le Shen (esprit) et même être nocive pour la santé (en tout cas elle peut empêcher de profiter des avantages d'une pratique tournée vers la santé…).
Une pratique qui demande trop de détails en même temps, qui recherche la perfection du geste, ne peut apporter la détente. Dans la phase d'apprentissage, il est très important de progresser doucement mais constamment. Si la recherche est celle de la perfection, qui n'existe pas, on travaille donc dans le vide : jamais cela n'apportera quoi que ce soit, si ce n'est une certaine rigidité maladive.
À l'inverse, incapable de se focaliser, de sentir et de reproduire un mouvement, la tendance est de chercher une satisfaction mentale pour compenser : on regarde des vidéos, on recherche les "niveaux avancés" et les secrets des arts cachés… oubliant du même coup le plus important : distinguer la droite de sa gauche.
Ce texte n'est pas un encouragement à se dire qu'il suffit de se détendre (ne rien faire !) et que "ça" va venir tout seul (ben voyons !)… ce n'est pas le cas. Pas de confusion possible grâce à la précision du début de ce texte " Pour ceux qui ont une pratique quotidienne, il est utile de penser à raffiner leur temps passé dans la Voie".
"L'attention", c'est de la concentration détendue.
Nous retrouvons dans "l'attention" les avantages de la concentration, mais dans une ouverture plus que dans une "vision tunnel". Il est évident qu'au début le problème réside dans cette ouverture qui est source probable de distraction justement.
Dans une pratique quotidienne, le geste appris demande un effort minimum. Il demande une concentration pour le "comprendre" et une certaine dose de tension pour les premières exécutions. Par contre, rapidement il doit demander moins d'efforts, et pour profiter de notre pratique il faut savoir rester dans cette économie.
Nous devons faire de même pour notre pratique : il faut qu'elle soit intégrée à notre quotidien, mais l'habituel doit résider dans l'attentif plus que dans le concentré. Nous réduisons ainsi l'apport de tensions pour un gain de détente.
Il est facile de se complaire dans la tension, car elle permet de mieux sentir. C'est une forme de paresse des sens qui se développe facilement. Les sentiments forts, les grandes émotions, le buggy jumping, la musculation… toutes ces façons de "se sentir plus vivre" peuvent nous empêcher de profiter pleinement des perceptions simples de notre quotidien.
Dans notre démarche Taoïste, la détente dans la pratique amène une sorte de silence mental et de détente physique qui nous permettent de profiter vraiment de notre vie. Les perceptions les plus simples nous émerveillent, l'attention constante se développe et nous vivons vraiment.
L'entraînement dans la concentration, dans une certaine raideur globale, annihile les bienfaits de notre pratique physique et nous condamne à flatter notre ego pour recevoir une satisfaction au moins intellectuelle : mais nous sommes là dans une pratique nocive et illusoire.
Attentif à ce que nous avons appris et acceptant le besoin de concentration nécessaire à notre progression, nous devons aller vers la détente et le simple : corps et esprit ne peuvent rester dans la tension sous peine de souffrance accrue, acceptons le relâchement structuré de la Voie et pratiquons.
Si nous ne pouvons entrer en résonance avec la pratique, n'y a-t-il pas plus de chances que le problème vienne de notre compréhension profonde plutôt que de la Voie elle-même ?